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Étiquetage simplifié de la viande Un déni de culture

À partir d’aujourd’hui, un étiquetage « simplifié » fait son apparition sur les  barquettes de viande vendues en libre-service dans les supermarchés. Ce nouvel affichage remplace les dénominations des muscles par des termes génériques (steak, rôti, pot-au-feu…) et  un classement par étoiles. Un système censé faciliter le choix du consommateur mais qui risque de mettre à bas un pilier de notre culture gastronomique.

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Entrecôte, faux-filet, bavette, viande bovine française (VBF)… Même en sélectionnant soigneusement sa barquette, quel consommateur n’a jamais été déçu par un steak préemballé, acheté en supermarché ? Fade et duraille, une fois dans l’assiette,  très souvent la viande a fondu comme neige au soleil ! Une mésaventure qui serait due, selon les professionnels de la filière, non pas à la piètre qualité des produits proposés mais  à une mauvaise compréhension de l’étiquetage par les consommateurs ! « Les dénominations des morceaux de viande sont trop techniques pour être comprises des clients », prétend Gérard Cladière, le  président du groupe viande de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD).  Résultat, de plus en plus de consommateurs se sentant démunis sans les conseils d’un boucher, et ne sachant quels morceaux choisir ni comment les cuisiner, finiraient, ô scandale, par s’abstenir d’acheter !  Face à des ventes en perte de vitesse, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) a donc décidé de réagir. Non pas en faisant œuvre de pédagogie auprès d’un large public qui ne demande qu’à apprendre (le succès populaire des émissions culinaires en témoigne), mais au contraire en simplifiant l’étiquetage, afin que « la viande parle enfin au  consommateur », selon le slogan d’Interbev ! Un comble alors que l’information des clients va être largement amputée.

Des étoiles, comme pour les hôtels

Le nouvel affichage conçu par la profession  a pourtant reçu l’aval des pouvoirs publics et s’applique dès le 13 décembre aux barquettes de viande bovine et ovine vendus dans les grandes et moyennes surfaces (heureusement, les boucheries artisanales en sont exemptées, mais jusqu’à quand ?).   Seules les dénominations connues de tous, telles que filet, faux-filet, rumsteck, onglet, T-bone, jarret…  figureront désormais  sur les emballages.  Exit, en revanche,  le merlan, la poire, l’araignée, le rond de tranche ou le mouvant. Tant pis pour les connaisseurs  qui appréciaient ces morceaux. Ils ne pourront plus les repérer sur les étiquettes car ils sont désormais regroupés sous des appellations génériques beaucoup moins poétiques : steak,  rôti, bourguignon, pot-au-feu… Leur mode d’emploi  (à griller, à rôtir, ou à mijoter) est également  précisé, pour éviter de fausses manœuvres aux cuisiniers débutants. Enfin,  la qualité des morceaux  apparaît sur l’étiquetage.  Ce classement, exprimé par une, deux ou trois étoiles, comme pour les hôtels,  indique la tendreté pour les morceaux à griller ou à rôtir,  mais également  le moelleux, lié à la teneur en collagène,  pour les morceaux à mijoter. Ainsi un steak obtient trois étoiles,  s’il provient de la « surprise » (morceau situé dans le dessus de palette) alors qu’il n’en obtient qu’une s’il est issu du  « dessus de boule de macreuse ». Bien entendu le consommateur ne saura jamais les raisons de cette différence, puisqu’il est supposé incapable de comprendre les informations d’une étiquette !
De plus, sauf à les proposer à prix cassés, qui aura envie d’acheter les viandes les moins biens classées, donc de qualité médiocre, à part les personnes les plus démunies ? Une stigmatisation supplémentaire à leur égard qui est difficilement acceptable.  Quant aux amateurs,  ils risquent de ne pas se satisfaire d’un système uniquement basé sur la tendreté et qui fait l’impasse sur d’autres critères au moins aussi importants : la race de l’animal, le mode d’élevage, les  conditions d’abattage, la maturation de la viande, etc.  Ainsi une entrecôte peut être classée trois étoiles, qu’elle provienne  d’une vache laitière de réforme ou d’une race à viande, comme la Limousine ou  la Salers…  Les grands gagnants de ce nouveau système ne sont donc pas les consommateurs mais les grandes surfaces qui vont pouvoir continuer à vendre de vieilles carnes sous un classement trompeur… en toute légalité.

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Exemple d’étiquette de viande avant et après la réforme. (Crédit : Interbev)

La filière viande a donc choisi de se positionner délibérément à contre-courant des tendances actuelles en privilégiant un modèle à deux vitesses : les produits de qualité, à la traçabilité irréprochable vendus par des artisans bouchers à destination des classes aisées de la population, et des produits tout-venant, vendus préemballés par la grande distribution avec un étiquetage simpliste à base de pictogrammes et d’étoiles, à destination d’une clientèle « incapable » de se repérer. Un positionnement pour le moins malvenu, qui risque d’appauvrir encore un peu plus le référentiel alimentaire du plus grand nombre. Dans ces conditions, mieux vaut fuir les rayons concernés et acheter sa viande chez un artisan boucher. Un vrai gage de qualité !

L’étiquetage du poisson sur la bonne voieAllez comprendre : à l’heure où l’étiquetage des morceaux de viande vendus en grandes surfaces devient moins précis, le nouvel étiquetage des produits de la pêche, qui entre en vigueur le 13 décembre, se veut, au contraire, plus complet. Cette mesure vise à permettre aux consommateurs d’être mieux informés, selon la Commission européenne, qui l’a mise en place à travers la nouvelle politique commune de la pêche. Les zones se font plus précises et l’engin de pêche utilisé doit lui aussi être affiché.

Florence Humbert – wwwquechoisir.org – 12/2014

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