Photovoltaïque L’incompréhensible cécité des sociétés de crédit
Difficile de croire les sociétés de crédit lorsqu’elles se disent « victimes » des installateurs de panneaux photovoltaïques indélicats. Elles auraient plutôt fait preuve d’un manque de vigilance très intéressé.
Patron de Next Generation, autre société de vente de panneaux photovoltaïques liquidée en juin 2013 après avoir floué des centaines de particuliers, Willy Bernard a déjà été jugé. Début mars 2014, le tribunal correctionnel du Mans l’a condamné à deux ans de prison ferme pour fraude fiscale. Ex-jeune entrepreneur prometteur, élu « Talent des cités » en 2003 (1), Willy Bernard n’était pas à l’audience. Il a quitté la France en 2011, suite à une première condamnation à deux ans de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction de gérer pour fraude fiscale, abus de bien sociaux et faux en écriture. Les affaires de Willy Bernard étaient passablement embrouillées. AB Fenêtres, sa première société, a été liquidée en 2008, laissant des centaines de contentieux derrière elle. Next Generation, qu’il a créé juste après, en 2009, et qu’il dirigeait malgré son interdiction de gérer via une holding à Tanger, a suivi exactement le même chemin. Le tout s’est déroulé de manière ostentatoire, Willy Bernard étant tout sauf discret (entrepreneur sans grande expérience, il avait racheté en 2006 le club de foot d’Angers, le SCO).
Soutien des sociétés de crédit
En plus de vendre des panneaux photovoltaïques avec des méthodes douteuses, Willy Bernard et Chaouki Bouskaya ont un autre point commun. Jusqu’à la toute fin de leur activité, alors que des forums sur Internet regorgeaient de mises en garde, ils ont été soutenus par des sociétés de crédit ayant pignon sur rue comme Sofemo, Solfea et Sygma.
Interrogées, ces sociétés se disent aujourd’hui « victimes » de ces entrepreneurs indélicats. Des « victimes » d’une candeur toute de même confondante. Les arnaques au photovoltaïque semblent avoir démarré massivement dans le Midi avant de remonter vers la moitié nord de la France. En 2009, quand Next Generation commence ses activités, Sofemo ou Solfea savent déjà que les méthodes commerciales de BSP sont plus que douteuses. Leur manque de vigilance est difficilement compréhensible, sauf à admettre l’hypothèse la plus cynique : compte tenu des méthodes de vente employées, les sociétés de crédit se doutaient qu’il y aurait de la casse, et elles auraient intégré le prix des contentieux dans les primes payées par tous les emprunteurs… Cela pourrait expliquer le coût faramineux de certains crédits en photovoltaïque : jusqu’à 15 000 € d’intérêts et de frais pour 20 000 € empruntés, soit 35 000 € à rembourser au total !
Selon Jean-Pierre Brissaud, expert installé dans le Var et qui a eu à connaître quelque 250 dossiers d’installations litigieuses, il ne fait « aucun doute » que les sociétés de crédit savaient que certains commerciaux bâclaient le travail et survendaient les rendements. « Lors d’une formation pour les vendeurs de panneaux, j’ai vu un commercial de Sofemo citer BSP en exemple et donner aux vendeurs une des astuces de la société pour doper les simulations de rendement : multiplier le nombre d’heures annuelles d’ensoleillement selon Météo France par le nombre de m2 de panneaux et en déduire la production d’électricité. En réalité, ça n’a aucun sens. L’ensoleillement au sens de Météo France démarre à 200 W/m2, alors qu’il faut 1 000 W/m2 pour qu’un panneau solaire fonctionne ».
Les pièges du financement différé
BSP et Next Generation font partie des sociétés les plus caricaturales, celles qui auraient dû inspirer le plus de méfiance, mais ce ne sont pas les seules à avoir travaillé en dépit du bon sens avec le soutien actif des sociétés de crédit. Ces dernières ont considérablement amplifié le danger que représentaient les commerciaux mal formés ou peu scrupuleux, avec leur système de financement différé. Dans le cadre de ce système, le client passe commande plus facilement, car il n’a rien à débourser tout de suite ; la société paye l’installateur directement, sans vérifier ni le devis ni la qualité des travaux. Le client est censé rembourser quand les panneaux produisent mais dans les faits, ça n’est pas le cas. Il se passe six mois, l’installation n’est pas raccordée. L’installateur devait prendre en charge les démarches, il ne le fait pas, et ne répond plus au téléphone. Le début des galères pour les clients…
À combien se monte le stock de dossiers litigieux ? Difficile de le savoir pour le moment. Ils sont certainement des milliers et des dizaines d’entre eux sont déjà arrivés en justice. Si les recours semblent difficiles et s’il existe toujours un aléa judiciaire, de nombreux consommateurs ont déjà pu obtenir gain de cause devant les tribunaux en étant exonérés du remboursement de leur crédit. Si vous souhaitez connaître vos possibilités d’actions, n’hésitez pas à contacter l’association locale UFC-Que Choisir la plus proche de votre domicile. Elle vous aidera à comprendre et utiliser des décisions de justice favorables aux consommateurs.
(1) Initiative du ministère délégué à la Ville et du Sénat, « Talents des Cités » récompense les jeunes créateurs d’entreprise ou d’association des quartiers prioritaires de la ville ou zone franche urbaine.
Erwan Seznec (eseznec@quechoisir.org)