Défiscalisation Duflot Entre les consommateurs et le Bâtiment, le gouvernement a choisi
Les annonces récentes de la ministre du Logement Sylvia Pinel laissent craindre un assouplissement du dispositif Duflot afin de soutenir le secteur de la construction. Au mépris des risques pour des investisseurs néophytes.
Interrogé sur RMC le 25 juin, la ministre du Logement Sylvia Pinel a annoncé que le gouvernement entendait « encourager les ménages qui font le choix d’investir dans le locatif ». Pour ce faire, le dispositif Duflot va être considérablement assoupli : allongement de la durée de défiscalisation pour les particuliers (de 9 à 12 ans), relèvement des plafonds de ressources des locataires, des plafonds de loyers et redéfinition du zonage. Le but, selon Mme Pinel, est de « permettre à des zones tendues qui n’étaient pas éligibles d’entrer dans le dispositif ». Les métropoles de Lille, Lyon et Marseille seraient concernées, entre autres.
Cet assouplissement du Duflot (qui avait pourtant déjà été assoupli sur pression des élus locaux) vise officiellement à « se rapprocher de l’objectif fixé par le président de la République », soit 500 000 logements neufs construits chaque année. Le compteur s’est arrêté autour de 300 000 logements pour l’année 2013.
Pour le dire autrement, le gouvernement veut relancer la construction. Les dispositifs de défiscalisation Robien, puis Scellier, ont effectivement dopé le secteur entre 2003 et 2012, représentant jusqu’à 60 % des carnets de commandes en logements collectifs certaines années.
Ces dispositifs ont aussi connu des dérives, poussant des particuliers à investir dans des endroits où la demande était insuffisante. L’administration fiscale n’a jamais laissé les préfectures déterminer à l’échelle locale les secteurs où existaient des besoins de construction. Un système national comportant quatre zones seulement a prévalu : demande très forte (A1), forte (A), moyenne (B1), faible (C, puis B2). Ce système de zones et de plafonds a abouti, entre autres absurdités, à ranger à une époque dans la même catégorie la commune populaire d’Aubervilliers et le très chic faubourg Saint-Germain de Paris.
Pour le fisc, il est vrai, une rentrée d’argent en vaut une autre. Or, la construction d’un T2 à 200 000 €, où qu’il soit, rapporte à l’État 33 000 € de TVA et autres taxes. Fort de cet argument, le lobby de la construction n’a jamais de mal à convaincre le gouvernement qu’il est vital de relancer l’activité.
Dix ans de défiscalisation, toujours pas de bilan
Lancé l’an dernier, le dispositif Duflot connaît effectivement un démarrage poussif par rapport au Scellier et au Robien. Mais du point de vue du consommateur, c’est le contraire qui serait inquiétant. Depuis 10 ans, les lois de défiscalisation visant à doper la construction se succèdent en laissant de côté des questions élémentaires. Où sont les besoins ? Si le manque de terrain est le principal obstacle à la construction en zones tendues, à quoi bon défiscaliser ? Parler de « crise du logement » au niveau national a-t-il un sens ? Et surtout, comment se fait-il que des dizaines de villes moyennes, à l’image de Quimper, Besançon, Dijon ou Carcassonne, abritent autant de logements neufs vides ?
Un bilan des lois de défiscalisation apporterait des éléments de réponse. La Cour des comptes l’a réclamé en 2012, sans succès. L’éclairage régional réalisé en Languedoc-Roussillon est pourtant éloquent (1).
De nombreux professionnels en conviennent, le secteur du bâtiment est en lévitation depuis 10 ans, par la magie de la défiscalisation. Faut-il gaspiller l’épargne des consommateurs en les poussant à investir dans des logements sans locataire pour prolonger encore un peu cette situation intenable ? Sylvia Pinel semble le penser.
Comment les réformes du zonage bernent les consommateurs
Pour comprendre comment la réforme du Duflot qu’annonce Sylvia Pinel aidera les commercialisateurs à embobiner les consommateurs, prenons l’exemple d’une commune qui va être reclassée de la zone B1 à la zone A. Le plafond de loyer, qui s’impose aux logements construits en Duflot, monte presque de 25 %. Il passe de 9,88 € à 12,27 €/m2.
En B1, le vendeur pouvait promettre seulement un loyer de 494 € hors charges pour un T2 de 50 m2. Magie de la loi, le loyer atteint désormais 613,50 € pour le même T2. Dans le premier cas, la rentabilité était trop faible pour séduire les investisseurs. Dans le second cas, en apparence, l’investissement devient plus intéressant. Seul problème, la réalité du marché n’a pas changé. Et si la commune était classée en zone B1 à l’origine, c’est pour une excellente raison : elle ne connaît aucune tension locative. On y trouve effectivement nombre de T2 à moins de 500 € ! La classer en zone A n’y changera rien. À plus de 600 €, le T2 restera vide. Mais les acheteurs l’ignorent, car les commercialisateurs leur proposent toujours des appartements situés très loin de là où ils habitent. Imaginons une consommatrice honnête mais peu informée. Appelons-là Mme Pinel, Sylvia, domiciliée dans le Tarn-et-Garonne. Un commercial la démarche. Il lui assure que les loyers sont identiques à Lille, Marcq-en-Barœul et Mons-en-Barœul. En réalité, Mons est beaucoup moins cotée et beaucoup moins chère que ses deux voisines. Tous les Lillois le savent. Mais pourquoi Mme Pinel se méfierait-elle ? Si l’État a classé les trois communes de l’agglomération nordiste en zone A, c’est sûrement pour une bonne raison, n’est-ce pas ?
1. Disponible à cette adresse : http://www.languedoc-roussillon.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Etude_impact_defiscalisation_crh26oct12__cle74ad23.pdf
Erwan Seznec (eseznec@quechoisir.org)
wwwquechoisir.org _ 06/2014