Filets de poisson L’eau au prix du poisson
Le trempage prolongé des filets de poisson destiné à augmenter artificiellement leur poids est une fraude récurrente. Au point que certains professionnels ont décidé de réagir.
Signe des temps, les poissons vendus en filets ont le vent en poupe. Prêts à cuire et sans déchet, ils ont tout pour séduire les consommateurs. Au supermarché comme sur les étals des poissonniers, aujourd’hui, ce conditionnement a priori anodin représente la part la plus importante de l’offre. Pourtant, des manipulations douteuses qui n’hésitent pas à flirter avec la loi se cachent derrière. Quitte parfois à franchir la ligne jaune !
Trempage prolongé, injections, utilisation d’additifs favorisant la rétention d’eau… Ces pratiques illicites visant à augmenter artificiellement le poids des filets de poisson sont devenues, semble-t-il, monnaie courante. À tel point que le Syndicat national du commerce extérieur des produits congelés et surgelés (SNCE), qui regroupe les plus gros importateurs-exportateurs de poissons congelés, a décidé de réagir. « En période de crise économique, de stagnation des ressources halieutiques, de forte demande dans le monde, beaucoup peuvent penser qu’ajouter de l’eau aux produits peut permettre de gagner plus. Mais, à terme, il y aura un prix à payer pour tous », déclarait Stéphane Barbut, président du SNCE, au cours d’une conférence sur le problème de la fraude à l’ajout d’eau organisée à Paris, en octobre dernier (1). Crainte d’un nouveau scandale alimentaire, ras-le-bol face au développement de cette concurrence déloyale… Toujours est-il que le SNCE tente aujourd’hui de mettre en place des outils de contrôle plus performants. Dans ce but, il a commandité une vaste étude intitulée « Fraudfilets ». Un travail de longue haleine, car les ajouts d’eau sont très difficiles à mettre en évidence. Certains additifs chimiques, surtout lorsqu’ils sont utilisés concomitamment, sont indétectables par analyse chimique. Comme dans le dopage sportif, les tricheurs ont toujours une longueur d’avance sur les dépisteurs et savent parfaitement exploiter les lacunes ou les ambiguïtés de la réglementation. Exemple : les carbonates, des substances interdites en tant qu’additifs. Les fabricants ont longtemps trouvé la parade en les présentant comme des auxiliaires technologiques (utilisés pour permettre ou faciliter la fabrication d’un aliment, ils ne sont pas considérés comme des ingrédients). Le flou a subsisté jusqu’à ce que la Direction générale de la santé et des consommateurs (DG Sanco) décide de les exclure de la liste des auxiliaires technologiques. Mais entre-temps, les fraudeurs ne s’étaient pas privés de les utiliser !
Des résultats édifiants
Conscient de la difficulté de traquer des pratiques illicites qui fluctuent au gré de l’évolution des textes réglementaires, le laboratoire chargé de l’étude « Fraudfilets » a choisi de prendre le problème à l’envers. Il a donc reproduit expérimentalement les limites maximales d’ajout d’eau dans huit espèces parmi les plus vendues en surgelés (panga, colin d’Alaska, lotte américaine, morue commune et morue du Pacifique, sole, hoki, saumon kéta) afin d’évaluer leurs capacités de rétention. Près de trois ans de tests, financés à hauteur de 155 000 €, ont été nécessaires pour parvenir à définir les seuils d’alerte pour chacune de ces espèces, au-delà desquels la fraude est avérée. Il ne restait plus qu’à comparer ces valeurs limites avec des échantillons de produits proposés aux consommateurs. Les premiers résultats d’analyse sur six espèces sont édifiants. Les filets de panga enregistrent les plus mauvais scores, avec 48 % des échantillons hors des clous. Ce qui n’a rien de surprenant. Lors d’un précédent test sur ces poissons, nos analyses avaient révélé de teneurs en humidité atteignant jusqu’à 85 %. Viennent ensuite le colin d’Alaska, le cabillaud et la lotte américaine (avec des fraudes de l’ordre, respectivement, de 28 %, 18 % et 14 %). Face à ces scores alarmants, le hoki et le saumon kéta font figure de bons élèves avec moins de 5 % de produits non conformes.
Compte tenu du nombre limité d’espèces analysées, ces résultats ne représentent sans doute que la face émergée de l’iceberg. Resterait à poursuivre l’étude de façon à établir une base de données pour toutes les espèces commercialisées. Une tâche colossale, nécessitant des moyens financiers encore plus importants. Et encore faudrait-il que l’ensemble de la filière se responsabilise, pour que les moyens mis à leur disposition afin d’assainir le marché ne restent pas lettre morte.
(1) Voir le dossier publié dans le no 142 du magazine Produits de la mer (accès payant).
Florence Humbert – wwwquechoisir.org 01/2014